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Recueil n° 3 – 2014 28
MANNEKEN
(65 x 50 cm - technique mixte)
nous présente un intérieur cossu (paire de chaussures à l’avant-plan, cfr.
CUPIDON
), assez morne par opposition
à l’extérieur où divers symboles de la ville de Bruxelles sont évoqués : Tintin et Milou ainsi que la Grand-Place et
le Manneken Pis, un plan de la ville et, bien sûr, l’empreinte du bilinguisme : un panneau de signalisation écrit
dans les deux langues nationales.
Au vu de son œuvre, CLARA BERGEL nous pose, a posteriori, un questionnement, à savoir qu’est-ce qu’un
sujet
? Est-ce la présence de
personnages
qui fait le « sujet » ou bien est-ce notre imaginaire qui le crée ? C’est
là toute la problématique qui régit, notamment, l’art « abstrait ».
Bien que loin d’être « abstraite » au sens où l’Histoire de l’Art l’entend communément, l’œuvre de cette artiste
recèle une « abstraction » toute personnelle dans la dimension onirique de son univers pictural. Ce sont les
objets, chargés de rêve, sans être « surréalistes » à proprement parler, qui participent de l’abstraction du
quotidien jusqu’à le circonscrire dans une intemporalité abolissant l’espace et mettant en exergue un temps rêvé :
la présence de pilastres sveltes, grimpant vers le haut, souligne le côté subtil et ténu de la ligne de démarcation
entre l’intérieur et l’extérieur. Il est à noter qu’à l’exception de
TORII
(pour des raisons évidentes), tous les
intérieurs se ressemblent, tant dans l’espace que dans l’architecture. Les objets suggèrent une atmosphère
menant à l’action. Dans le cas de
CUPIDON
, ce sont la statue ainsi que les chaussures de couleur rouge,
agencées à l’avant-plan, à droite, associées à la couleur laiteuse baignant le tableau, qui donnent non seulement
une atmosphère onirique, mais aussi une idée progressive du sujet en développement dans l’imaginaire du
visiteur. Mais il s’agit ici d’un sujet
non agissant
physiquement : Cupidon tient son arc de la main gauche.
L’artiste se permet une licence picturale en ceci que dans l’iconographie antique, le fils de Vénus s’apprête à
décocher sa flèche fatale au bout d’un arc bandé. Ici, la flèche a manifestement atteint un cœur et l’action a déjà
été accomplie. Le « sujet » a déjà agi. Il se situe au-delà de l’acte posé. C’est au regardant, à présent, de le
poursuivre et le terminer. Par conséquent, le « sujet » est
double
: personnage et visiteur se complètent dans la
même aventure. Rappelons, d’emblée, que dans toute forme de création, la démarche est identique : le récepteur
complète par l’imaginaire l’action du personnage. Mais dans l’œuvre de CLARA BERGEL, cette démarche est
flagrante.
De plus, le
sujet
est un thème qui dans sa peinture prête à discussion : que ce soit dans
CUPIDON
où les
personnages brillent par leur absence ou dans
TORII
(dans lequel une foule compacte évolue dans l’univers
extérieur) le sujet, à proprement parler, est tué dans l’œuf, en ce sens que son
identité
est absente. L’artiste
nous dépeint une foule anonyme où l’
individu
n’existe pas.
Lorsque l’on interroge cette artiste autodidacte sur la pertinence du regard dialectique qu’elle pose sur l’existence
des espaces intérieur et extérieur qui régissent la philosophie de son œuvre, celle-ci argumente sur le fait qu’il
s’agit de « portraits » personnels, réfléchissant des pulsions intérieures et que l’antagonisme entre ces deux
espaces souligne le mystère de l’inconnu (vue extérieure) opposé aux traces de vie, même les plus infimes (vue
intérieure). Elle ne part jamais d’idées préconçues car les villes qu’elle peint, malgré qu’elles soient connues,
demeurent imaginaires, précisément dans la magie de l’agencement de ces deux espaces, pensés comme deux
univers à la fois antagonistes et complémentaires, car ils nous parlent de l’univers intime de l’artiste.