JERRY DELFOSSE
L’enseigne est devenue une référence et, même si la galerie a déménagé en mai dernier pour s’agrandir, son objectif ne varie pas d’un iota. Depuis plus d’une décennie, Espace Art Gallery accueille une pléthore d’artistes venus de mondes différents et représentatifs de la diversité de l’art contemporain. Du figuratif à l’abstraction, de la peinture à la sculpture, de la céramique à la gravure, aucune piste n’est laissée en friche. Avec une activité permanente et un agenda rempli de longs mois à l’avance, Jerry Delfosse, responsable du lieu, nous parle de son parcours et de ses projets. Rencontre.
Où êtes-vous né et quelle est votre formation ?
J’ai vu le jour à Etterbeek, l’une des dix-neuf communes du grand Bruxelles, et j’ai passé une partie de ma jeunesse à Overijse, dans le Brabant flamand. Très jeune, je me suis senti attiré par le monde des arts et je préférais dessiner plutôt que de participer à des jeux collectifs, en famille ou avec des amis. Je passais des journées entières à reproduire méticuleusement des oeuvres célèbres de Jacob van Ruisdael et Jacob Jordaens, avec un papier grand format, un crayon noir et une gomme. A la fin de mes humanités, je me suis naturellement inscrit à l’Académie royale des Beaux-Arts de Bruxelles en section gravure, technique qui correspondait parfaitement à mon tempérament méticuleux. J’y ai suivi les cours de Roger Dewint, Francis Brichet et Igor Swingedau. L’occasion aussi d’aborder l’histoire de l’art et de sceller plusieurs amitiés durables. J’ai très vite appris que l’acte créatif n’a aucune limite et que rien ne peut l’endiguer. A la fin de ce cursus, j’ai décidé de m’installer à Bruxelles, afin de me rapprocher des musées, des théâtres et des cinémas. J’ai occupé successivement un appartement rue Longue Haie, place Saint Boniface et rue de Namur.
Quel regard portez-vous sur Bruxelles ?
Contrairement à d’autres métropoles, Bruxelles est une capitale à taille humaine, où on peut passer d’un endroit à un autre à pied, sans avoir nécessairement besoin d’une voiture. Les transports en commun sont également performants, même si on déplore des mauvaises fréquences à certaines heures et le dimanche. Grosso modo, tout est concentré dans le Pentagone, avec un nombre incroyable de musées, de salles de spectacles, de galeries d’art et de restaurants. Donc, pas question de s’y ennuyer ou de ne pas savoir que faire de ses soirées, seul ou en compagnie. Evidemment, la ville a bien changé depuis l’époque où je cherchais un premier emploi. Le prix de l’immobilier a flambé et une population de plus en plus internationale occupe ses quartiers. Mais le changement se veut aussi vecteur de dynamisme et on ne peut pas arrêter une machine qui tourne à plein régime. On s’adapte au mouvement ou on s’enfonce dans la nostalgie. Je préfère la vie aux regrets, le présent au passé. Chacun sa philosophie !
Dans quel état d’esprit avez-vous ouvert Espace Art Gallery, voilà plus de dix ans ?
Arrivé à un certain âge et avec l’expérience que j’avais acquise en exerçant différentes activités, j’ai senti qu’il était temps de m’investir dans un projet qui me tenait à coeur depuis longtemps. Exposer des artistes que j’admirais ou que je rêvais de rencontrer me titillait depuis belle lurette. Le tout consistait à me lancer, sans trop m’inquiéter des risques éventuels. J’ai toujours été positif et je n’ai jamais cessé de croire en ma bonne étoile, chose qui ne veut pas dire que je me suis jeté aveuglément dans cette aventure. Partir de rien comporte toujours une part d’incertitudes. En amont, j’avais estimé le coût réel de ce challenge et j’avais pris les précautions utiles pour ne pas risquer la banqueroute. Puis, une galerie d’art ne doit pas acquérir un stock de marchandises. Elle dispose des oeuvres que les artistes lui confient et qu’elle se charge ensuite de vendre, en prélevant une commission. Les débuts n’ont effectivement pas été simples. Il a fallu batailler pour se faire connaître, gagner la confiance des plasticiens et s’imposer auprès des gens de la presse.
D’où vient le nom Espace Art Gallery ?
Je cherchais une surface vaste et lumineuse. Par hasard, j’ai été amené à visiter le rez-de-chaussée d’une maison bourgeoise sise rue Lesbroussart, à un bond de la place Flagey et en aval de l’avenue Louise. Près de cent vingt mètres carrés en L et bénéficiant d’un puits de lumière ! Un espace fabuleux selon mes critères. Directement, l’idée du nom m’est venue : Espace, qui fait référence à la surface, Art, puisqu’on y exposerait des créations artistiques, et Gallery pour préciser la vocation du lieu.
De quelles qualités doit disposer le responsable d’une galerie d’art ?
Plusieurs atouts sont nécessaires. Je ne parle bien entendu pas de la gestion des comptes ni du secrétariat. Lorsqu’on se trouve à la tête d’une galerie d’art, on doit se reposer sur ses goûts et n’exposer que des travaux auxquels on croit. Pas question d’effectuer une sélection d’oeuvres par dépit ou par manque d’exposants. Il faut aussi comprendre les artistes, qui ont parfois des sensibilités singulières. Le sens de l’écoute et une patience à toute épreuve sont également requis. Quelques créateurs et quelques clients sont … disons … excessivement envahissants. De même, il faut être capable de tout organiser sans fautes : sélection des plasticiens, tri des oeuvres à accrocher aux cimaises, préparation des invitations et des affiches, mise en place du vernissage.
Quel est le profil des artistes que l’on retrouve chez vous ?
Jusqu’à présent, énormément de Français viennent exposer à Bruxelles, capitale de l’Europe. Environ cinquante pour cent des exposants présents chez moi créent dans l’Hexagone. Avec le Thalys, se rendre en Belgique n’est plus une aventure insurmontable. Vingt-cinq pour cent sont Belges et le quart restant vit un peu partout en Europe ou ailleurs dans le monde. La spécificité d’Espace Art Gallery est d’offrir une vitrine de la création actuelle, avec des gens bien vivants et qui peuvent parler de leurs travaux. Les vernissages sont souvent des moments de rencontre, d’échange et de dialogue. L’art abstrait est majoritairement représenté et de nombreux artistes s’y adonnent avec talent, inspirés par les couleurs, le mouvement et l’harmonie. J’ai pu constater que le public y est très sensible. Une toile abstraite s’intègre aisément dans de nombreux intérieurs et n’impose aucune histoire, contrairement aux représentations figuratives. Chacun ressent ce qu’il a envie de percevoir et se laisse emporter par le flux de son imagination. L’art figuratif a aussi sa place aux murs, mais dans une moindre mesure. Quant aux sculpteurs, ils sont beaucoup plus rares, ainsi que les photographes.
Avez-vous des critères de sélection ?
Evidemment ! Pour rester crédible, il ne faut pas accepter n’importe quoi. Je me fie à mon oeil. Il faut que la technique soit impeccable, ensuite que l’artiste ait quelque chose de crédible à proposer. Je n’ai rien contre les peintres du dimanche, qui s’épanouissent en pratiquant une belle activité, mais il me faut autre chose que des reproductions de paysages pour touristes ou une énième nature morte déjà vue partout. D’une certaine manière, je peux affirmer qu’Espace Art Gallery est le reflet de mes goûts, aussi éclectiques que la peinture actuelle. Je suis capable d’apprécier un bel abstrait autant qu’une oeuvre réaliste. La relation que j’ai eue avec l’artiste est aussi capitale. Il m’est arrivé d’offrir mes cimaises à l’un ou à l’autre, sans avoir visité son atelier ni vu ses toiles. La manière dont on parle de son travail est une révélation en soi et je me suis rarement trompé. Si c’est le cas, je n’ai qu’à m’en prendre à moi-même.
Tenir une galerie d’art vous permet-il d’entretenir des amitiés sur la durée ?
Le responsable d’une galerie d’art n’a pas pour vocation de se faire des amis. Il est responsable du travail d’un artiste pour une période déterminée et doit user de toute son énergie et de toutes ses influences pour que l’exposition soit une réussite. Cela dit, des liens se créent et certains perdurent au-delà du temps prévu contractuellement. Plusieurs artistes prennent de mes nouvelles ou reviennent régulièrement à l’occasion de l’un ou l’autre vernissage. Quelques-uns ont planifié une deuxième ou une troisième exposition, question de me prouver leur satisfaction.
Depuis mai 2018, Espace Art Gallery occupe un nouveau lieu, pourquoi ce déménagement ?
Il ne s’agit certes pas de chahuter les habitudes, mais de faire face à une demande croissante. Le secteur ne connaît pas la crise et je me suis rendu à l’évidence que, malgré ses cent vingt mètres carrés, l’enseigne de la rue Lesbroussart devenait trop exiguë pour accueillir tout le monde lors des vernissages et des soirées thématiques. Je me suis rangé à l’avis qu’il était temps de s’agrandir et de chercher un nouvel endroit. Une opportunité a fait que j’ai visité un formidable bâtiment situé derrière la place de Brouckère, à un saut du Manneken-Pis et de la Grand Place, et que j’ai pu l’acquérir fin 2017. Le temps de l’aménager selon mes critères et de faire converger les activités d’un point vers un autre, tout a été prêt pour relancer les affaires en fanfare. Je sais que tout le monde est ravi, parce que je double mon espace et que le lieu bénéficie de toutes les commodités, avant ou après une visite : proximité des transports en commun, parking en sous-sol et vie sociale fleurissante avec des restaurants, des tavernes et des magasins à foison. A titre de comparaison, la rue Lesbroussart était un peu isolée.
Comment se compose ce nouvel espace ?
Il s’agit d’un ancien atelier d’artiste qui se répartit sur deux étages, façon loft style américain, sans portes. Tout y est ouvert et permet une vue d’ensemble avant de s’approcher de chaque section. Les escaliers métalliques dialoguent avec les parois blanches et neutres et ne cherchent pas à influencer le regard, pour laisser chaque oeuvre s’exprimer entièrement. On se situe dans du vrai design, avec une passerelle vitrée et un puits de lumière qui, par jours de soleil, poudroie, ainsi qu’une terrasse pour les vernissages d’été. Enfin, il importe de relever la beauté de la vitrine Art Nouveau classée.
Avez-vous des projets ?
Poursuivre tout ce qui a été entrepris depuis treize ans et rencontrer davantage de monde pour l’épanouissement du lieu autant que pour ma satisfaction personnelle. Espace Art Gallery vit en somme la seconde partie de son existence et ce nouveau challenge ne m’effraie pas plus que le premier.
15 février 2019
Brussels Diffusion asbl
Propos recueillis par Daniel Bastié